La fuite en avant

Le référencement naturel se doit de suivre les évolutions de Google mais aussi de profiter des avancées technologiques. Il doit aussi être ancré dans la réalité et avoir un vrai intérêt pour l’internaute. Aujourd’hui, l’essor de l’automatisation et de l’IA donne le tournis et je ne sais pas sur quel pied danser face à l’industrialisation que l’on observe dans le SEO.

écran ordinateur recherche Google

D’un côté, je perçois bien tout l’intérêt d’automatiser. On produit plus vite, plus fort. On rationalise, on rend rentable des actions qui ne l’étaient pas auparavant.

Toutes ces techniques SEO permettent de produire. Beaucoup. On parle ici de milliers de contenus, de dizaines de langues, de centaines de domaines. Le tout par an.

Il était une fois… le SEO

Si on regarde dans le rétroviseur, que voit-on ? Plus bas, je pose les différentes étapes par lesquelles les référenceurs ont pu passer au fil des années. Tout le monde n’a pas suivi le même chemin. Tout dépend de l’age et de la date d’arrivée dans le métier mais aussi de la couleur de chapeau et des limites que se fixe chaque personne. De plus, les étapes ne sont pas forcément logiques ni obligatoires ni forcément une progression souhaitable. Ici encore, il faut mettre en regard les techniques utilisées et l’objectif visé.

Concernant la rédaction, on est passé par les phases suivantes :

  • Rédaction internalisée ;
  • Rédaction externalisée locale ;
  • Rédaction externalisée pas chère et réutilisation de contenus déjà prêts (fiches produits fournisseurs, articles à republier) ;
  • Rédaction externalisée pas chère via plateformes dédiées ;
  • Rédaction externalisée délocalisée ;
  • Achat de packs de contenus déjà rédigés ;
  • Abonnement de contenus ;
  • Publication automatique des contenus acquis.

La rédaction web a aussi vu la montée en puissance des machines avec les étapes qui suivent :

  • Contenu généré entièrement à la main ;
  • Textes à trous ;
  • Bouillie de texte à partir de contenus scrapés et import de contenus non présents sur le web (scan OCR, transcription, publication en masse de contenu hors ligne) ;
  • Content-spinning simple et traduction automatique de textes ;
  • Content-spinning évolué avec prise en compte de la distance entre les tirages générés pour éviter le contenu dupliqué ;
  • Outils d’extraction de mots-clés positionnés depuis les SERPs pour aider la stratégie de contenus ;
  • Outils scrapant les SERPs et demandant d’inclure des mots-clés dans la rédaction ;
  • IA recrachant des contenus thématisés mais peu lisibles ;
  • IA permettant d’aider le rédacteur à structurer sa production de texte ;
  • IA proposant un brouillon à valider et retravailler (ou pas – tout dépend si on est joueur et si on fait du volume ou de la qualité).

La création de contenus n’est pas limitée au seul contenu texte :

  • Le texte est toujours la base. C’est le plus simple à produire ;
  • Les images sont naturellement venues après. Les banques d’images ont très longtemps été un passage obligé. Aujourd’hui, les images générées par IA deviennent matures ;
  • L’audio est compliqué à produire. Mais les outils de synthèses vocales sont désormais utilisables et produisent des résultats naturels à l’oreille ;
  • La vidéo est pénible à produire. Il faut que quelqu’un passe devant la caméra, il faut un bel éclairage et prendre le temps de réaliser un montage. L’IA est ici aussi en embuscade mais c’est clairement le type de contenu le plus exigeant. Sauf qu’aujourd’hui, c’est ce que veulent les internautes. Il n’y a qu’à regarder ce qui fonctionne le mieux sur FB, Insta et TikTok ;
  • Les jeux de données. Une mine d’or pour qui sait les chercher, les organiser et les valoriser. On peut les générer en interne si on fait quelque chose de vraiment différent mais on peut aussi agglomérer des données en OpenData.

Les liens ne sont pas en reste et le métier a beaucoup évolué :

  • Échange de liens à la main ;
  • Début de l’automatisation de liens avec multiplication de sites et de pages web (pages satellites, webrings) ;
  • Publication de liens facilitée via liens réciproques, annuaires, livres d’or, widgets et autres variantes ;
  • Publication de liens en masse via l’automatisation de commentaires, la création de webprofil et la recherche de footprints pour industrialiser le dépôt de liens ;
  • Publication via articles invités ;
  • Échange de coups de main et renvois d’ascenseurs manuels puis mise en place de cercle de partage (forums) pour s’échanger spots et proposition de liens ;
  • Structuration et montée en puissance des échanges de liens via plateformes dédiées et renouveau des relations presse ;
  • Arrivée des plateformes d’achats de liens et des négociants en lien qui servent d’interface entre l’acheteur et le vendeur ;
  • Abonnement de liens, automatisation renforcée et création automatique de liens via plugins WordPress discutant entre PBN et plateformes, délégation de la partie technique du métier.

On continue avec les sites web. Au départ, nous n’avions que quelques sites chacun :

  • Webmaster possédant son propre site ;
  • Réalisation de petits sites supplémentaires ou de quelques autres sites sur des métiers différents réalisés à la main ;
  • Automatisation de la création de sites web et remplissage avec du contenu de mauvaise qualité ;
  • Récupération d’autres sites web via rachat ou acquisition de domaines expirés ;
  • Industrialisation de la production de sites web et mise en lumière des « PBN » ;
  • Achat de PBN sur catalogue ;
  • Achat de sites web rankant sur certains mots-clés ;
  • Achat de sites web générant du CA ;
  • Achat de business en ligne.

Des connaissances approximatives mais largement disponibles

Il y a 20 ans, faire du SEO c’était être quasiment tout seul dans son coin et s’adonner à une passion obscure. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et on commence à voir apparaître des formations académiques. La connaissance empirique se diffuse en petits comités mais aussi au grand jour. Il n’y a jamais eu autant d’experts et de formations disponibles. La qualité est très variable mais il est impossible de partir avec de mauvaises bases si on est suffisamment curieux et que l’on fait preuve de bon sens.

Aujourd’hui, les technos sont peu chères et les tactiques sont bien rodées. En quelques mois, un novice touche-à-tout peut rapidement se retrouver à la tête d’un petit empire de sites. C’est un vrai changement de situation par rapport à seulement quelques années en arrière.

Déconnexion avec la réalité

Toutes ces techniques SEO sont un peu comme des carburants de fusée. La fusée va décoller fort et ira loin mais elle risque de louper son objectif et se perdre dans les étoiles. Car, aveuglés par la possibilité de produire plus, les SEO ne risquent-ils pas de perdre pied avec la réalité ?

Quand, au sein de mon agence annécienne, je discute avec de « vrais gens », c’est-à-dire des professionnels du marketing, des dirigeants de petites entreprises ou même des passionnés de web, je constate un énorme fossé. La plupart sont ouverts et curieux mais sont complètement dépassés par les potentiels de l’automatisation. Avec les plus matures et les plus curieux, il y a toujours un moment de révélation et de mise en abîme. Ce fameux moment ou ils se rendent compte qu’en fait ils ne savent pas grand-chose et que le chemin est encore long et semé d’embûches. C’est aussi pour cela qu’ils me font bosser mais parfois ça peut faire peur et donner le vertige.

  • Le client pensait pouvoir s’en tirer en publiant un contenu par mois pour faire mieux que la concurrence et voilà maintenant qu’il faut adapter ce contenu en 3 autres formats, l’ajuster pour en faire des versions de différentes longueurs, le publier sur plusieurs plateformes et automatiser sa publication et sa republication ;
    • Le client était content d’avoir obtenu un lien d’un partenaire et voici aujourd’hui que je lui parle de réseau de sites, d’achats de domaines thématiques expirés, d’élevage de contenus et d’abonnement à des plateformes de liens ;
    • Le client était fier d’avoir publié un contenu qu’il avait écrit parce qu’il avait réussi à se bloquer une demi-journée sans être dérangé et désormais je lui montre les possibilités de l’IA, des publications automatiques et de la rédaction de masse.

Le client peut être super excité à l’idée de tester toutes ces techniques et avoir envie de scaler et dire GO. Mais ça ne m’est jamais arrivé, il y a toujours la notion de coût et d’implication qui fait peur. Les budgets ne sont pas infinis, le temps non plus et il faut prioriser. Le client pensait avoir bien avancé et on lui en remet une couche. Et pas une petite. Il pensait être près du but et voilà qu’il repart presque à zéro. C’est sans fin cette histoire de SEO.

Il reste la possibilité de sous-traiter, de déléguer mais en perdant un peu plus la main à chaque étape avec toujours la double épée de Damoclès : responsabilité juridique et sanctions de Google. Acheter un PBN, acheter des packs de textes, acheter des abonnements de liens : pourquoi pas, mais le ratio risques/bénéfices vaut-il vraiment le coût ? Ou s’arrêter ?

La responsabilité du SEO est aussi engagée. Lorsque je conseille des tactiques à mes clients, je suis celui qui sait. Et j’ai une vraie responsabilité par rapport à ça.

Tout ça pour dire qu’on est aujourd’hui dans un monde à 3 vitesses :

  • Ceux qui ne travaillent pas leur SEO de façon active (la majorité) ;
  • Ceux qui s’astreignent à être productifs en SEO mais de façon « artisanale » (la plupart des clients qui achètent une prestation SEO selon mon ressenti au doigt mouillé) ;
  • Ceux qui y vont à fond. Ces derniers profils sont beaucoup plus rares et il y a une loupe déformante dans le milieu du SEO. On retrouve ici des profils atypiques. Même parmi les référenceurs.

Pour qui on bosse au final ? Quel est le sens de tout ça ?

À toujours produire plus, il est facile de s’aveugler et de se tromper dans ses objectifs. Quand je vois les spots à liens d’aujourd’hui et que je me balade sur les sites comme un internaute « normal », je me pose quand même pas mal de questions. La plupart des contenus ne sont ni intéressants ni n’apportent de plus-value par rapport à ce que l’on peut trouver sur le web. Ce n’est pas forcément gênant aujourd’hui mais en alimentant ces fermes de contenus et de liens, on perd de vue que celui que l’on doit servir, à long terme, c’est l’utilisateur. Or ici, c’est Google qu’on alimente. Il nous le rend bien, mais pour combien de temps ? À concentrer ses opérations sur le jeu du chat et de la souris avec Google, ne perd-on pas de vue les vrais objectifs ?

Je n’ai aucun client qui accepte de prendre des risques pour obtenir des résultats immédiats. La plupart sont des entreprises familiales dont l’objectif est d’être rentable aujourd’hui et demain. Et aussi après-demain. Prendre des raccourcis peut être tentant et certains pointent du doigt des concurrents qui viennent chahuter le marché. C’est souvent temporaire et la chute arrive à tous les coups. Tôt ou tard. Ceux qui restent sont ceux qui travaillent leur marque, leur spécificité. Mais, j’ai l’impression que nous sommes à une période charnière et que les bonnes pratiques d’antan vont vraiment entrer en zone de turbulence. Ou placer le curseur ? Faut-il accepter de faire un peu de sale pour apporter plus de performances ?

Il y a d’autres aspects qui me dérangent. Pourrir le web embête tout le monde. On le voit sur certaines SERPs ou on maudit les confrères qui se positionnent avec des MFA. Ça demande d’importantes ressources informatiques et beaucoup d’énergie. La sobriété n’est clairement pas au planning.

Enfin, ne risque-t-on pas de dégoûter les utilisateurs d’utiliser les moteurs de recherche ? Les plus jeunes utilisent Insta et TikTok et de façon plus globales les plateformes sociales comme première source d’information.

Et si on était à un tournant ?

Produire du contenu pour le web c’est bien. Ou plutôt c’était bien. Depuis que Google est devenu moteur de réponse, il récupère l’information trouvée sur les sites pour l’afficher directement depuis les SERPs et parfois même sans inviter les internautes à aller sur le site. Pour l’utilisateur, c’est très bien et ça suffit. Ça fait même gagner un clic. Mais pour les propriétaires de sites web et le petit monde des éditeurs SEO, c’est très pénible.

Ce n’est pas tout. L’IA peut répondre sans problème aux questions les plus simples. Et de plus en plus, l’IA peut répondre aux questions complexes.

Alors comme chaque année, on se dit que le SEO est mort. Et vive le SEO. C’est oublier que pour qu’il y ait du SEO, il faut qu’il y ait des moteurs. Il y en aura toujours, j’en suis persuadé mais sous quelle forme et pour quel public ?

Tout bâtir sur le fait que les moteurs de recherche sont un point de passage obligé du grand public est à mon sens dangereux. Les ruptures d’usage vont parfois très vite. En attendant, on garde ses œillères et on va plus vite. Toujours plus vite. Droit dans le mur peut-être ?

Photo : Ben Dada

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