Internet rend-il bête ?

ir?t=annectouri 21&l=am2&o=8&a=222112443XJ’ai lu le livre de Nicholas CARR Internet rend-il bête ? (#pubAmazon) et comme mon métier me force à passer la majorité de mes heures devant un ordinateur et sur le web le titre m’a forcément interpellé. C’est d’ailleurs le but de ce livre : interpeller sur une révolution silencieuse qui s’opère au sein des cerveaux humains.

Le ton du livre est principalement à charge contre le web {et|mais} il y a de bonnes feuilles, des exemples et des expériences plutôt percutantes et de bonnes infos à garder.

Nicholas CARR

L’auteur est un écrivain bloggeur qui dispose d’une certaine renommée et qui collabore avec Wired et le NYTimes entre autres. Il travaille essentiellement sur l’infobésité, les impacts de la technologie sur le fonctionnement de notre cerveau ou l’utopie du web 2.0 participatif et social.

  • Avez-vous changé votre rapport à la lecture et à la connaissance ?
  • Avez-vous moins de patience à lire ?
  • Avez-vous l’impression de moins bien retenir ?
  • L’ordinateur vous appelle t-il régulièrement pour vérifier vos emails, messages sur les réseaux sociaux ou encore pour vérifier juste un truc sur Wikipedia ?

C’est en partant de ce besoin de se rapprocher continuellement du web et de ne plus pouvoir lire un livre de manière concentrée pendant plusieurs heures que Nicholas CARR a décidé de faire des recherches et d’écrire ce livre.

Le livre, un média évolutif

Au début du livre, la transmission du savoir est évoqué à travers les ages. Pour ma part, je connaissais les papyrus des égyptiens et l’invention de l’imprimerie de Gutenberg mais on apprend d’autres choses :

  • Au départ, il n’y avait pas d’écrit : normal, il n’y avait pas d’écriture. La transmission du savoir était orale. Les savants du passé étaient dotés d’extraordinaires mémoires qu’ils entretenaient pour stocker tout leur savoir. Qui est aujourd’hui capable de réciter un livre entier ?
  • Ensuite sont apparus l’écriture et les premiers supports, des tablettes en argiles au papyrus en passant par les rouleaux, les volumens puis les codex pour enfin arriver au livre. Au cours de cette évolution est apparu la numérotation des pages, la possibilités d’aller directement à un chapitre mais surtout l’apparition des espaces. En effet, les premiers supports d’écritures n’avaient pas d’espace, forçant les gens à lire à haute voix pour comprendre ce qu’ils lisaient et prolongeant ainsi la transmission orale du savoir aux personnes non lettrées qui écoutaient les lectures. En inventant puis en généralisant l’utilisation des espaces, la lecture devint personnelle, silencieuse et permit la réflexion. Cette étape est décisive : en permettant aux individus de mieux comprendre ce qu’ils lisent, le discours peut être plus profond et la diffusion des idées complexes est favorisée.
  • L’imprimerie est l’étape suivante. Elle permit la diffusion aux masses de la connaissance et ce, à bon marché. Il est d’ailleurs intéressant de noter que dès 1600 un certain Barnaby RICH se plaignait de l’infobésité causée par les livres. Avec toute l’information qui nous déboule dessus tous les jours avec Internet, nous ne sommes pas du tout précurseur en matière d’information overload !
  • Par la suite différents dispositifs d’aide à l’écriture firent leur apparition. Nietzsche, par exemple, dût utiliser une machine à écrire car sa maladie l’empêchait d’écrire comme à ses débuts. Une chose étonnante apparue alors : ses lecteurs lui firent remarquer que son style d’écriture avait changé. Nietzsche s’en était lui même aperçu. Ce fut une des premières observations de ce qui deviendra plus tard une évidence :  » Le média change le contenu ».
  • Aujourd’hui, le support s’est dématérialisé. Nous avons les liseuses électroniques et le web qui ajoutent une couche d’hypermédia au support papier.

Hypermédia = meilleure compréhension : Apparemment non

Il y a quelques années de cela, l’hypermédia et l’utilisation du multimédia devait révolutionner la façon d’apprendre. Aujourd’hui, avec quelques années de recul, le constat est bien mitigé. Le livre permet de dérouler une idée linéaire ce qui favorise la compréhension. Or le multimédia rompt cette linéarité et induit :

  • une plus grande proportion de ressources de cerveau nécessaires pour traiter l’information avec des coûts de commutation élevés (interruptions fréquentes qui dispersent la pensée) et un effort plus important de concentration (le web est pleins de stimulis qui distraient la concentration). Les stimulis du web empêchent la mémoire d’enregistrer les données phares. À noter que certains logiciels ont bien saisi ce problème et propose un environnement de travail dépouillé.
  • un fonctionnement en mode multi-tâches qui diminue notre créativité et notre raisonnement (ces deux aptitudes nécessitent de la concentration or cette dernière est très vite dispersée avec tous les attraits de l’instantanéité du web).
  • une moins bonne compréhension proportionnelle au nombre de liens hypertextes (plus il y a de liens, plus l’internaute va s’interrompre dans la compréhension de son texte et ce même s’il ne clique pas dessus).
  • la lecture en diagonale. Très bien mais attention à ce qu’elle ne devienne pas une fin plutôt qu’un moyen.
  • une découverte plus rapide de l’information mais aussi moins de profondeur dans les recherches.
  • une diminution et une réorientation de nos capacités de contemplation. La profondeur de nos émotions et de nos pensées est fortement impacté.
  • des points positifs quand même : meilleure coordination oeil/main, meilleur repérage visuel, meilleure analyse rapide.

Mémoire interne et mémoire externe

Une expérience a montré qu’en seulement 6 jours, le cerveau d’un nouvel internaute subissait des évolutions lourdes dans sa manière de traiter l’information. Et plus le web est utilisé, plus ses nouvelles connexions de renforcent au détriment des précédentes. Internet fait donc évoluer notre cerveau et nous donne de nouvelles compétences mais nous fait perdre des capacités auparavant acquises.

L’auteur dresse donc un portrait peu flatteur du web, média phare de l’hypertexte :

  • L’inconscient résout des problèmes. Le net distrait la déconcentration nécessaire au travail de l’inconscient par une déconcentration futile.
  • Le web nous apprend à nous laisser distraire. Or, la clé de la consolidation de la connaissance est l’attention.
  • De cultivateur de la connaissance personnelle, l’internaute devient chasseur/cueilleur de données numériques. Ce qui peut apparaître comme une avancée est pour l’auteur un vrai bon dans le passé.

Avec Internet à disposition en permanence, la technologie nous fournit des serviteurs cognitifs externes : pourquoi apprendre si je peux retrouver l’information en 3 clics sur Wikipedia ? Avec une mémoire sous-traitée à la machine, la mémorisation devient une perte de temps. La mémoire est ainsi reléguée du divin (ce que pensaient les grecs anciens) à l’humain pour finir à la machine.

evolution homme ordi
Le web, une régression pour l’humanité ?

Études scientifiques à l’appui, l’auteur explique que plus un être humain mémorise d’informations, plus il est intelligent car le cerveau est capable de faire des liens complexes et transversaux entre les différentes connaissances. Hélas, si on externalise la mémoire, on court-circuite automatiquement le système et vide l’esprit de sa richesse. Cependant Nicholas CARR ne met pas toutes les technologies de l’information et l’informatique dans le même panier. Il faut distinguer les outils qui évitent les opérations de routine qui n’apportent rien à l’intelligence (tel que les calculatrices) et les technologies ayant un impact plus important. Le web est typiquement une technologie de l’oubli.

Cela peut paraître paradoxal : l’extension de l’information disponible induit un rétrécissement de notre savoir.

Et plus loin encore : La mémoire personnelle façonne la mémoire collective et vice versa. Sous traiter la mémoire revient donc, de facto, à flétrir la culture et à régresser.

Préconisations et perspectives

L’informaticien Weizenbaum avait été décrié par ses pairs lorsque, en pleine euphorie pour l’intelligence artificielle dans les années 70, il avait émit des réticences au sujet des ordinateurs. En substance, le message transmis était celui-ci : Il ne faut pas déléguer à l’ordinateur les tâches qui requièrent du discernement (tâches mentales et intellectuelles). Aujourd’hui, les systèmes experts font exactement ce que craignait le chercheur.

En fait, chaque outil impose des limites. Plus on s’en sert, plus on se moule dans ses fonctions et nos outils finissent par engourdir la partie du corps qu’ils utilisent : Pourquoi écrire avec un stylo alors que taper au clavier est plus simple ? Et si vous êtes comme moi, écrire à la main, ça fait mal maintenant…

Autre expérience amusante/effrayante que relate l’auteur : On place des utilisateurs face à un problème à résoudre avec l’aide d’un programme. Le premier groupe dispose d’un logiciel très basique alors que le second dispose d’un logiciel complexe avec assistant et système expert. On propose alors des problèmes à résoudre par ordre croissant de difficulté. À la fin de l’expérience, le constat est imparable : le groupe qui a moins bien réussi est celui qui disposait du logiciel évolué. En se reposant sur la technologie, les utilisateurs n’ont pas fait appel à leur propre intelligence et n’ont pas su atteindre les objectifs demandés. Google instant, ça vous dit quelque chose ?

Ainsi, plus le programme est brillant, plus l’utilisateur est bête. L’homme programme les ordinateurs qui le programment en retour. Notre propre intelligence se nivelle donc au niveau de l’intelligence artificielle.

En conclusion

Ce livre met en garde contre le web et la technologie avec force exemples. Mais au delà du parti-pris de l’auteur, qui ne peut pas aller contre sa thèse déroulée au sein des 312 pages que constitue l’ouvrage, on peut tout de même relativiser : le cerveau humain a survécu à de nombreux changements et a su s’adapter à la technologie. On sait ce que l’on quitte, on ne sait pas encore ce que l’on va trouver : du moins bien peut-être, du bon certainement. Notre cerveau s’adapte aux technologies mais qualitativement c’est un processus neutre. Ce qui importe, au final, ce n’est pas l’adaptation mais ce que nous devenons avec les outils à notre disposition.

Le gros point fort de ce livre est, à mon sens, d’éveiller le lecteur à l’impact que peut avoir une technologie sur notre fonctionnement et sur la société…

L’avez-vous lu ? Quelles sont vos remarques ?

9 réflexions au sujet de « Internet rend-il bête ? »

  1. Je ne connaissais pas du tout ce livre mais en effet je m’y retrouve un peu dedans.
    Le fait est que même lorsque je trouve des choses intéressantes sous prétexte que l’infos sera toujours la quelques temps après je lis beaucoup plus rapidement les articles voir même j’en saute des parties pour éviter les choses inutiles.
    Je vais faire un tour a la fnac voir les premières page de ce livre 🙂

    Merci

  2. Merci pour cet article qui pousse vraiment à la réflexion et l’analyse personnelle. Bien que le titre de ce livre soit provocateur, je me demande s’il n’est pas proche de la réalité. Il est évident que nous avons une grande capacité d’adaptation, mais cette capacité est un atout uniquement devant un défi mais pas devant ce qui a tendance à nous ramollir l’esprit ou éviter l’effort. Le cerveau et notre vie « s’enrichissent » et se construisent uniquement si l’on fait un effort conscient pour se structurer. J’ai malheureusement l’impression que notre société qui doit faire face à pas mal de soucis économiques et quotidiens est en train de s’appauvrir. J’adore cette phrase : « l’extension de l’information disponible induit un rétrécissement de notre savoir ». Et c’est vrai qu’à trop s’informer finalement on est plus sûr de rien. Enfin bon, il y aurait de quoi dire et longtemps sur cette question. Merci beaucoup pour la présentation de ce livre. Pierre et par hasard de mon nom de famille BENOIT.

  3. Un livre qui je pense pourrait m’intéresser car selon ce qui est dit dans l’article, je m’y retrouve un peu sur certains points. J’ai donc bien envie d’en savoir plus.

    Merci pour ce partage.

  4. Internet a clairement changé nos habitudes. Une donnée simple permet de le constater : le nombre de recherche sur Google a plus que décuplé depuis 10 ans.

    Ca veut dire deux choses :
    – On a accès beaucoup plus facilement à l’information qu’autrefois
    – On se pose beaucoup plus de questions qu’autrefois : toutes nos recherches sont elles réellement utiles? Comment faisions nous avant?

    Je trouve que c’est une question peu évoquée et néanmoins très intéressante.

  5. Après le syndrôme carpien du à l’utilisation abusive de la souris dans des postures anti-ergonomiques, on découvre que notre mode de pensée est modifié en profondeur par le web.
    On retrouve ce problème à tous les niveaux : quel développeur d’interface développe encore son code javascript de A à Z alors qu’il est si facile d’utiliser des librairies comme jQuery ?
    Au-delà des arguments de rapidité de développement, de maintenance et de portabilité, on trouve quand même le bémol des développeurs qui savent de moins en moins programmer.
    Penser hors du cadre devient une denrée rare.

  6. merci pour le résumer du livre.
    Je pense que internet modifie notre pensée critique à cause du clic en go et surtout nous rend impatient et addict aux informa

  7. Moi qui suis photographe Internet m’a permis d’ouvrir une « vitrine » de mon travail et donc de trouver des clients. En ce sens c’est positif. Mais ce qui me dérange c’est le flux interminable d’images qui circule sur le web. A cause de ça beaucoup de gens finissent par ne plus savoir ce qui bon du mauvais. Et ça peut rendre bête, ou plutôt fainéant.

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